mardi 18 novembre 2008

Un autre échange fructueux avec mon ami philosophe Sébastien







Cher Sébastien,

Merci de ton invitation à une autre question.

Ma Question : Dans son même livre le pape Benoit XVI a le courage de parler d'une polémique parmis les théologiens. Il parle de la position de Oscar Cullmann
qui soulève le point que bien que la majorité des chrétiens 'croient' en l'immortalité de l'âme cette doctrine n'est pas vraiment évangélique car la vraie doctrine évangélique serait la résurrection des corps et l'immortatilité de l'âme est incompatible avec la résurrection des corps (toujours selon Oscar Cullmann : je ne parle pas ici de la position du pape. je ne fais que paraphraser ce que le pape paraphrase de Oscar Cullmann).

Je t'ai déjà demandé si tu connaissais des références bibliques faisant une description ontologique de l'âme. En connais-tu ???
Cette opposition entre l'immortalité de l'âme et la résurrection des corps concerne-t-elle vraiment les philosophes et théologiens chrétiens ???

Bonne chance avec celle-ci !!!
Guy
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Cher Guy,

Malheureusement, je ne connais pas Oscar Cullmann, mais mon intuition, c'est qu'il s'agit d'un auteur du 20ième siècle et il devrait être un bibliste, donc un exégète de la Bible. Or, si mon intuition sur Cullmann est exacte, il fait partie de la tradition ou du mouvement contre l'ontologie et la métaphysique, c'est la position des exégètes contemporains. Il s'agit d'un lecture strictement historique des Écritures. Rien de surprenant qu'il fantasme sur le corps (donc résurrection du corps) et non l'âme (immortalité de l'âme).

Avant de répondre à ta question assez simple sur les références bibliques (ontologiques et métaphysiques) sur l'âme. La Bible au complet!!! Voilà mes références bibliques. Truc oratoire, NON. Comment lis-tu la Bible? Il faut se poser la question d'historien de la théologie avant d'aborder un texte chrétien: comment, par exemple, les Pères de l'Église approchaient la Bible? Comme les exégètes contemporains? Encore une fois, il faut connaître la structure ou l'approche exégétique des Pères de l'Église, des Hébreux, des théologiens médiévaux et des mystiques chrétiens. Je crois, sous toute réserve, que l'approche chrétienne est différente de celle védique. Chez les Chrétiens, on ne lit pas l'Écriture comme on lisait à l'école primaire: on ne commence pas par la première phrase, la seconde et le paragraphe en entier et on continu de cette manière, chapitre par chapitre. C'est la méthode scolaire. Or, cette approche des textes n'est pas celle des juifs, des chrétiens: le principe exégétique d'or chez les Juifs et les Chrétiens, Pères de l 'Église jusqu'aux mystiques du 21ième siècle (Zundel), c'est l'association de mots, d'idées, de thèmes!!!! Jamais et jamais les Juifs et les Pères de l'Église ont lu la Bible de cette manière. Même Augustin était rhéteur, il n'a jamais lu les oeuvres d'Homère en commançant par le début. Il faut avoir encore une fois avoir un maître chrétien qualifié avant d'approcher les textes sacrés chrétiens. Note encore une fois que les versets associés peuvent (pas nécessairement) être contradictoires, mais c'est l'association de mots qui sera primordial. Mais, les deux versets peuvent aussi contenir le même sens. Autrement dit (je n'ai pas ma Bible est main, mais le jeu est facile ou un texte d'Augustin ou de Zundel en main), l'auteur chrétien prend un mot « âme » en Jean et l'associe à immortalité (j'invente encore) dans un ouvrage de la Sagesse et le relie à éternité en Exode. Ensuite, il fait une sous association pour expliquer sa définition biblique et faisant d'autres associations bibliques. Voilà comment les Juifs et les Pères de l'Église lisent la Bible. Il ne s'agit pas d'association gratuite: il y a toute une tradition d'association et de non-association. Prends n'importe quel texte des Pères et ne t'attache pas au sens, mais regarde comment ils fonctionnent. Avec un maître chrétien qualifié, j'apprends à lire la Bible de cette manière et on constate les définitions de l'âme et de la nature de Dieu qui sont évidentes aux yeux d'un chrétien. J'ai écrit trois articles sur la structure ou le fonctionnement exégétique à ce sujet et j'ai donné deux conférences aussi à ce sujet...sûrement le plus important avant de lire n'importe quel auteur chrétien. Cet aspect-là n'est vraiment pas connu par les autres traditions religieuses.
Donc, la conception de l'immortalité de l'âme et la résurrection des corps est biblique. La polémique, sous toute réserve, de l'immortalité de l'âme seulement date d'environ du 17 ou 18ième siècle avec l'avénement du matérialiste et notre belle psychologie matérialiste!!!! Ah! Ah! Ah!

Amitié,
Sébastien
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Cher Sébastien,

Merci beaucoup pour ces merveilleuses précisions sur la patrologie chrétienne. Il y a plusieurs belles différences entre la chrétienté et la tradition védique mais le fait de « méditer » les textes fondamentaux avec un maître est une des belles similitudes. Par contre, une libre association de pensée entre la révélation et les philosophies profanes, serait peu encouragée.

Il n’y a pas de résurrection des corps dans les traditions védiques car l’immortalité de l’âme est décrite en grand détail dans de nombreux textes où le corps est décrit comme un vêtement temporaire (je vais en citer quelques-uns à la fin de ce texte).

Lorsque l’âme quitte le corps au moment de la mort, plusieurs options s’offrent à elle selon son karma ou son niveau de conscience :

1- Dans la plupart des cas, elle doit se réincarner dans un autre corps de matière (animal, végétal ou humain…) (voir Bhagavad-Gita 2.13)
2- Si elle a accompli de nombreuses activités pieuses ou philanthropiques, elle pourra être élevée temporairement (quelques milliers d’années) sur des planètes paradisiaques avant de retomber en ce monde mortel.

Trois autres options sont disponibles pour ceux qui pratiquent un yoga supérieur assidûment :

3- L’âme impersonnelle de ceux qui suivent la voie impersonnelle peut se fondre dans la forme sans forme de l’Absolu.
4- Certains yogis peuvent se fondre dans une des « formes spirituelles » de l’Absolu (ex : devenir Shiva).
5- Ceux qui pratiquent le bhakti-yoga de l’amour et de la dévotion peuvent obtenir une forme spirituelle (un peu comme le « corps de gloire » décrit par Thomas d’Aquin) avec laquelle ils peuvent servir et aimer la forme ultime de l’Absolu en tant que Personne Suprême.

Cette tension philosophique que j’ai mentionné dans ma question a l’importance de révéler des anxiétés existentielles dont Schopenhauer a exposé quelques ficelles dans les compléments à son livre « Le monde comme volonté et représentation » : « Enseigner à l’homme qu’il n’est issu du néant qu’il y a peu de temps, que par la suite durant une éternité il n’était rien, et que cependant il doit être, dans l’avenir, impérissable, c’est au fond comme lui enseigner que, tout en étant de part en part l’œuvre d’un autre, il doit être néanmoins, pour tout éternité, responsable de ses actes et de sa conduite ».

À cette conception chrétienne populaire qui semble affirmer la création ex nihilo d’un sujet destiné à vivre éternellement, Schopenhauer va opposer le sujet éternel de pure connaissance qu’il a glané dans ses lectures des Védas et du védanta.

Note importante : Les conceptions chrétiennes de Schopenhauer sont sûrement aussi limitées que sa compréhension du védanta mais il révèle une belle question existentielle qui permettra peut-être à nos contemporains de s’interroger sur leur identité véritable et leur futur probable.

Je terminerai ce petit commentaire par quelques textes védiques classiques, venant du tout début de la Bhagavad-Gita, chapitre 2 (ma traduction) sur l’immortalité de l’âme éternelle que nous sommes :

VERSET 12
na tv evähaà jätu näsaà
na tvaà neme janädhipäù
na caiva na bhaviñyämaù
sarve vayam ataù param

na : jamais ; tu : mais ; evä : certes ; ahaà : Je ; jätu : deviens ; nä : jamais ; asaà : exista ; na : ce n’est pas ainsi ; tvaà : toi ; na : pas ; ime : tous ces ; janädhipäù : rois ; na : jamais ; ca : aussi ; eva : certes ; na : pas comme cela ; bhaviñyämaù : existerons ; sarve : nous tous ; vayam : nous ; ataù param : ensuite.

Jamais ne fut le temps où nous n'existions, Moi, toi et tous ces rois; et jamais aucun de nous ne cessera d'être.

VERSET 13
dehino ’smin yathä dehe
kaumäraà yauvanaà jarä
tathä dehäntara-präptir
dhéras tatra na muhyati

dehinah : de l’âme incarnée ; asmin : dans ce ; yathä : comme ; dehe : dans le corps ; kaumäraà : enfance ; yauvanaà : jeunesse ; jarä : vieillesse ; tathä : de même ; dehäntara : changement de corps ; präptih : accomplissement ; dhérah : le sage ; tatra : en cela ; na : jamais ; muhyati : s’émeut.

A l'instant de la mort, l'âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu'elle passe de l'enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Le sage ne s’émeut pas de ce changement de corps.

VERSET 17
avinäçi tu tad viddhi
yena sarvam idaà tatam
vinäçam avyayasyäsya
na kaçcit kartum arhati

avinäçi : impérissable ; tu : mais ; tat : cela ; viddhi : sache ; yena : par quoi ; sarvam : tout le corps ; idaà : ce ; tatam : répandu ; vinäçam : destruction ; avyayasyäsya : de l’impérissable ; na kaçcit : nul ; kartum : faire ; arhati : capable de.

Sache que ne peut être anéanti ce qui pénètre le corps tout entier. Nul ne peut détruire l'âme impérissable.

VERSET 18
antavanta ime dehä
nityasyoktäù çarériëaù
anäçino ’prameyasya
tasmäd yudhyasva bhärata

antavantah : périssable ; ime : tous ces ; dehäh : corps matériels ; nityasya : existant éternellement ; uktäù : il est dit que ; çarériëaù : les âmes incarnées ; anäçinah : ne devant jamais être détruites ; aprameyasya ; immensurables ; tasmät : jamais ; yudhyasva : combat ; bhärata : ô Arjuna, descendant de Bharata.

L'âme est indestructible, éternelle et sans mesure; seuls les corps matériels qu'elle emprunte sont sujets à la destruction. Fort de ce savoir, ô descendant de Bharata, engage le combat.

VERSETS 19
ya enaà vetti hantäraà
yaç cainaà manyate hatam
ubhau tau na vijänéto
näyaà hanti na hanyate

yah : quiconque ; enaà : cela ; vetti : sait ; hantäraà : tueur ; yah : quiconque ; ca : aussi ; enaà : cela ; manyate : croient ; hatam : tué ; ubhau : tous deux ; tau : ils ; na : jamais ; vijänétah : en connaissance ; nä : jamais ; ayaà : cela ; hanti : tue ; na : non plus ; hanyate : être tué.

Ceux qui croient que l’âme peut être tuée et ceux qui croient que l’âme peut tuer, sont tous les deux ignorants. L’âme ne peut tuer, ni être tuée.

VERSET 20
na jäyate mriyate vä kadäcin
näyaà bhütvä bhavitä vä na bhüyaù
ajo nityaù çäçvato ’yaà puräëo
na hanyate hanyamäne çarére

na : jamais ; jäyate : naît ; mriyate : ne meurt jamais ; vä : ou ; kadäcit : à aucun moment (passé, présent ou futur) ; nä : jamais ; ayaà : ce ; bhütvä : vint au monde ; bhavitä : sera ; vä : ou ; na : ne pas ; bhüyaù : a été ; ajah : non née ; nityaù : éternelle ; çäçvatah : permanent ; ayam : ce ; puranah : originelle ; na : jamais ; hanyate : est tuée ; hanyamane : étant tuée ; sarire : par le corps.

L'âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n'eut jamais de commencement, et jamais n'aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps.

VERSET 21
vedävinäçinaà nityaà
ya enam ajam avyayam
kathaà sa puruñaù pärtha
kaà ghätayati hanti kam

vedä : qui a la connaissance ; avinäçinaà : indestructible ; nityaà : toujours ; yah : celui qui ; enam : cette (âme) ; ajam : non née ; avyayam : immuable ; kathaà : comment ; sah : il ; puruñaù : personne ; pärtha : ô Arjuna, fils de Prtha ; kaà : qui ; ghätayati : faire tuer ; hanti : tue ; kam : qui.

Comment, ô Arjuna, celui qui sait l'âme non née, immuable, éternelle et indestructible, pourrait-il tuer ou faire tuer?

VERSET 22
väsäàsi jérëäni yathä vihäya
naväni gåhëäti naro ’paräëi
tathä çaréräëi vihäya jérëäny
anyäni saàyäti naväni dehé

väsäàsi : vêtements ; jérëäni : vieux et déchirés ; yathä : tel qu’il est ; vihäya : abandonnant ; naväni : vêtements neufs ; gåhëäti : prend ; narah : un homme ; aparäëi : autre ; tathä : de la même façon ; çaréräëi : corps ; vihäya : abandonnant ; jérëäny : vieux et inutiles ; anyäni : différents ; saàyäti : prend en vérité ; naväni : un nouvel ensemble ; dehé : l’âme incarnée.

De même qu’un homme rejette ses vieux habits et en prend des neufs, ainsi l’âme incarnée rejette ses vieilles dépouilles pour en emprunter de nouvelles.

VERSET 23
nainaà chindanti çasträëi
nainaà dahati pävakaù
na cainaà kledayanty äpo
na çoñayati märutaù

na : jamais ; enaà : cette âme ; chindanti : fendre ; çasträëi : toutes les armes ; na : jamais ; enaà : cette âme ; dahati : brûle ; pävakaù : feu ; na : jamais ; ca : aussi ; enaà : cette âme ; kledayanti : mouille ; äpah : eau ; na : jamais ; çoñayati : dessèche ; märutaù : vent.

Aucune arme ne peut fendre l'âme, ni le feu la brûler; l'eau ne peut la mouiller, ni le vent la dessécher.

VERSET 24
acchedyo ’yam adähyo ’yam
akledyo ’çoñya eva ca
nityaù sarva-gataù sthäëur
acalo ’yaà sanätanaù

acchedyah : indivisible ; ayam : cette âme : adähyah : ne peut être brûlée ; ayam : cette âme ; akledyah : insoluble ; açoñyah : ne peut être desséchée ; eva : certes ; ca : et ; nityaù : éternelle ; sarva-gataù : omniprésente ; sthäëuh : inchangeable ; acalah : fixe ; ayaà : cette âme ; sanätanaù : éternellement la même.

L'âme est indivisible et insoluble; le feu ne l'atteint pas, elle ne peut être desséchée. Elle est immortelle et éternelle, omniprésente, inaltérable et fixe.

VERSET 25
avyakto ’yam acintyo ’yam
avikäryo ’yam ucyate
tasmäd evaà viditvainaà
nänuçocitum arhasi

avyaktah : non-manifestée ; ayam : cette âme ; acintyah : inconcevable ; ayam : cette âme ; avikäryah : immuable ; ayam : cette âme ; ucyate : est dite ; tasmät : donc ; evaà : comme cela ; viditva : le sachant bien ; enaà : cette âme ; nä : ne pas ; anuçocitum : peut se lamenter sur ; arhasi : tu mérites.

Il est dit de l'âme qu'elle est non-manifestée, inconcevable et immuable. Sachant cela, tu ne devrais pas te lamenter.

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J'aimerais terminer ce petit échange sur l'immortalité de l'âme avec une merveilleuse citation de Platon qui présente vraiment un principe universel de sagesse tel que ceux que j'aime présenter dans une perspective de Védanta Global:

Plus que tout par suite,
l’âme est chose non-mortelle
qui ne peut être anéantie
(Phédon, 107a)

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