dimanche 11 janvier 2009

Le bonheur est-il possible? -- partie 7

Il y avait même un grand sage qui était en même temps un grand roi du nom de Bhartrihari. Il disait que nous ne jouissons pas des plaisirs matériels mais que c'étaient eux qui jouissaient de nous. C'est comme un ennemi qui nous conquière peu à peu, qui nous rend esclave et qui jouit de nous.

Bhartrihari était un grand roi qui avait eu tous les plaisirs et qui avait renoncé aux plaisirs de son royaume pour devenir un yogi sérieux en pratiquant une discipline spirituelle.

Il a écrit un livre qui s'appelle «Vairagya Sataka ». Ce livre commence par une histoire très spéciale qui montre comment éphémères sont les bonheurs matériels.

Il raconte qu'il avait été voir un sage et que celui-ci lui avait donné de bonnes paroles ainsi qu'un cadeau. Le cadeau qu'il avait reçu était un fruit spécial qui allait lui donner une très longue vie. Pourquoi le sage a donné ce cadeau au roi? Parce que c'était un bon roi qui ne pensait pas juste à lui mais qui pensait aussi au bien-être des gens de son royaume. Et par gratitude le sage lui a donné ce fruit en lui disant qu'avec ce fruit il aurait une très longue vie et qu'il pourrait jouir très longtemps dans cette vie.

Le roi retourna au royaume avec le fruit et il s'est dit qu'en fin de compte cela serait mieux si je le donnais à mon épouse. Ainsi je pourrai jouir du corps de mon épouse plus longtemps car elle restera jeune et attrayante. Si elle reste jeune et belle longtemps, cela va être plus de plaisir pour moi.

Pour son plaisir il a fait cadeau du fruit à sa femme. Cela semblait un beau cadeau mais ce n'était que par motivation égoïste. Il a donné le fruit à la reine en disant: «Oh! Ma reine je t'aime beaucoup. Prends ce fruit et tu resteras éternellement belle et jeune». Elle prit le fruit.

La reine avait un amant qui était le conducteur du chariot au palais. Elle a eu la même réaction que le roi. Elle s'est dit: «je vais le donner à mon amant pour qu'il reste jeune et vigoureux. Et cela va me donner plus de plaisir à moi».

L'amant s'est dit la même chose. Il avait une autre maîtresse à l'extérieur à qui il a donné le fruit. Cette maîtresse était une prostituée qui s'est dit qu'elle ne devrait pas garder ce fruit. Cela ne sert à rien de rester une prostituée plus longtemps :« Plus je suis prostituée longtemps, plus je fais du mauvais karma et plus je vais devoir souffrir plus tard. »

C'est elle qui avait la plus grande sagesse dans toutes ces personnes. Les prostituées sont souvent celles qu'on va dénigrer (faisant partie de la basse classe) et utiliser en exemple en Inde. Elles vont avoir souvent plus de sagesse que d'autres personnes de la haute société, telles que le roi, la reine, etc.

La prostituée s'est dit qu'elle devrait donner ce fruit à quelqu'un de bien, à quelqu'un qui fait du bien pour les autres, de cette façon elle pourrait avoir un meilleur karma. Et cette personne fera beaucoup de bien autour d'elle : « Je vais donc donner ce fruit au roi. »

Lorsque le roi a reçu le fruit il s'est dit en reconnaissant le fruit: « j'avais pourtant donné le fruit à la reine ». Il est allé vérifier auprès de la reine. « Est-ce que tu as bien aimé le fruit? » La reine lui a répondu en disant que le fruit était très bon et qu'elle le remerciait de sa générosité. La reine mentait. Le roi n'était pas content. Il lui a montré le fruit qu'il venait de recevoir et à cet instant la reine lui a dévoilé toute son histoire.

A ce moment le roi a compris que les problèmes venaient à essayer de jouir des choses matérielles de façon égoïste.

Ce thème, de ne pas essayer de jouir pour avoir du plaisir, n'est pas réservé qu'à l'Inde. Cela fait partie de la sagesse universelle que l'on retrouve sur tous les continents et venant de sages de toutes les époques.

Par exemple Épictète, qui était un sage stoïcien de Rome il y a presque deux mille ans (du premier siècle), disait que le bonheur ne consiste pas à conquérir ni à jouir mais à ne rien désirer. Car cela (ne pas jouir) consiste à être libre.

De la même façon quelques siècles plus tard St-Augustin, un chrétien, disait que le bonheur était de continuer à désirer ce qu'on possède. C'est d'être satisfait avec ce qu'on a déjà, au lieu de vouloir en posséder davantage. Plus on en a, plus on en désire (par la force de l'avarice).

Aristote, bien avant ces philosophes, avait dit que le bonheur est à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. Savoir se suffire de peu par le détachement. C'est aussi un des grands principes yogiques universels par lequel on peut être heureux avec très peu de choses dans la simplicité.

Comme disait une écrivaine moderne, Marguerite Yourcenar, tout bonheur est innocence. Et Romain Rolland, un écrivain français, qui aimait beaucoup l'Inde et qui a écrit des livres sur l'Inde disait que le bonheur est de connaître ses limites et de les aimer.

Aucun de ces sages ne va dire que le bonheur est dans l'accumulation de choses matérielles ou dans la jouissance matérielle. A ce niveau ils vont donner le même enseignement qui est similaire à celui des yogis de l'Inde.

Pour terminer il ne faut pas mélanger les plaisirs temporaires avec un bonheur substantiel. Ces plaisirs temporaires sont souvent la plus grande entrave au bonheur substantiel. Il ne faut pas mélanger le bonheur véritable avec une simple absence de souffrance. Il y a l'histoire très fameuse du fou qui se donnait des coups de marteau sur la tête. Lorsqu'on lui demandait pourquoi il faisait cela, il répondait que lorsqu'il arrêtait de se donner des coups de marteau sur la tête, cela lui faisait du bien. Il se sentait bien.

Une autre histoire est celle de la personne qui est au magasin de chaussures et qui voulait s'acheter des souliers de pointure trois fois plus petites que ce qu'elle avait vraiment besoin. Le commis remarqua qu'ils étaient beaucoup trop petits et qu'elle allait souffrir énormément. La personne répondit qu'elle venait de perdre son emploi, qu'elle avait perdu son conjoint, que sa maison était passée au feu et que sa voiture avait été volée, il n'y avait que des souffrances en ce monde. Et le seul plaisir qu'elle avait à la fin de la journée c'était lorsqu'elle enlevait ses souliers.

Il y a aussi l'histoire d'une personne qui est torturée selon une vieille technique. On lui plonge la tête dans l'eau et de temps en temps on la ramène à la surface une petite fraction de seconde pour qu'elle puisse respirer. Cette petite fraction de seconde n'est pas vraiment un bonheur parce qu'il y a l'anxiété d'être remis tout de suite dans la souffrance. C'est juste une absence de souffrance temporaire. Ce n'est pas une absence complète de souffrance.

Donc ce qui est proposé par les sages, c'est d'essayer d'avoir un mode de vie ou un art de vivre qui invite le bonheur à s'installer en nous. On devient un bon récepteur au bonheur par le yoga, la méditation, les activités non égoïstes et en cultivant la sagesse qui est d'être gentil et disponible à tous.

Pour donner un autre exemple, il y avait le maître zen, D. T. Suzuki, qui disait que : « lorsqu'on médite ou que l'on fait une activité spirituelle, on a ici même en ce monde un avant-goût du bonheur éternel. On a une entrée sommaire dans le paradis et on est sur la voie de faire grandir constamment ce bonheur jusqu'à ce qu'on puisse un jour s'y installer et y être définitivement ».



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